Intersectionnalité et incorporation: Expliquer la genèse des inégalités sociales de santé (2021)
Contexte:
Dans son article, Estelle Carde propose d’étudier en quoi le concept d’intersectionnalité peut contribuer à la recherche sur les inégalités sociales de santé, en particulier dans le contexte francophone où cette approche est encore peu répandue. L’origine du concept d’intersectionnalité est décrite à partir de ses racines historiques, intellectuelles et militantes, dans les mouvements féministes noirs. Selon l’auteure, l’intersectionnalité fournit un cadre privilégié pour enquêter sur les déterminants sociaux et structurels de la santé, dans la mesure où elle permet de décrire l’intersection de domaines d’oppression susceptibles de se chevaucher et de s’impliquer réciproquement et qui comprennent, entre autres, les catégories de race, de sexe et de classe et de race. Notons que la « race » est ici entendue, non pas comme une catégorie naturelle mais comme une catégorie politique désignant l’ensemble des « rapports sociaux qui président à la racialisation des individus et partant, au racisme » de sorte que « les Blancs » apparaissent tout autant racialisés
que les « Noirs », bien qu’ils jouissent des bénéfices sociaux et symboliques d’une position dominante qui fonctionne comme un « en-dehors de la race » (Achin et Dorlin, 2008: 19-20). L’auteure souligne également la manière dont un cadre intersectionnel pourrait s’inscrire dans le paysage peu théorisé des recherches sur les inégalités de santé, en faisant le lien avec la théorie des « causes fondamentales » (Phelan et al., 2004), et la théorie « éco-sociale » proposée en épidémiologie sociale (Krieger, 1994).
Dans ce commentaire, nous examinerons plus en détail la proposition faite par Carde de combiner le cadre théorique de l’intersectionnalité et le modèle de l’incorporation, issu de la théorie éco-sociale de Krieger. Nous nous appuierons sur les théorisations intersectionnelles ainsi que sur des travaux sur l’incorporation (embodiment) tout au long de la vie pour examiner en quoi l’adoption d’un « prisme intersectionnel » met en valeur le rôle du corps dans la construction des inégalités sociales de santé. Nous mettrons également en évidence certains défis politiques, conceptuels et méthodologiques liés aux approches intersectionnelles dans l’étude des inégalités de santé, en particulier dans les domaines de l’épidémiologie sociale ou de la sociologie quantitative.
Texte intégral:
Alexandra Soulier, Hélène Colineaux, Michelle Kelly-Irving. Intersectionnalité et incorporation : Expliquer la genèse des inégalités sociales de santé. Sciences Sociales et Santé, 2021, 10.1684/sss.2021.0190. hal-03254499